Alice FERNEY

À l’Embellie, parmi ses élèves entravés mais avides de savoir et d’harmonie, Claire a trouvé sa place. Elle aide, accompagne, encourage ; elle en est convaincue et l’expérience le prouve, elle fait du bien à ces jeunes gens pour qui tout est plus difficile, devant qui l’horizon de l’âge adulte souvent se dérobe. Dans sa classe, l’ambiance est à la camaraderie et à l’indulgence.

En cette rentrée 2018, Claire accueille un nouveau. Gabriel est tendu, timide, mutique. En quelques semaines pourtant, ses progrès sont flagrants et son sourire apparaît. Claire n’irait pas jusqu’à parler de miracle, elle a trop foi dans son travail. Tout s’apprivoise : la nouveauté, les connaissances, l’autre.

Alors évidemment quand l’inquiétude d’une mère à cran s’allie à la distance réprobatrice d’une directrice qui n’a jamais tout à fait accordé sa confiance à Claire, qui ne la comprend pas, celle-ci ne saisit pas la potentielle gravité d’une convocation. Elle ne voit pas arriver le grief, ni l’engrenage, implacable, se mettre en place.

D’après le dictionnaire, l’innocence est « la qualité de celui qui ignore le mal ». On peut se fier à Alice Ferney pour être attentive au sens des mots comme à celui des gestes. En Claire, elle trouve un personnage d’une complexité vertigineuse – elle ne la lâche pas un instant de sa longue chute, ne manque aucune de ses contradictions, lumière, bonté, légèreté, maladresse, vieilles insécurités, mensonges sincères, silences butés… et jusqu’aux pièges qu’elle tisse pour elle-même. Inscrit dans la chair à vif de notre réalité contemporaine, Deux innocents raconte, observe et interroge chaque instant d’un séisme. Autour d’un drame glaçant, c’est à l’autopsie de nos élans, d’une certaine idée de la spontanéité, que procède ici l’auteure. Avec une précision magistrale et une efficience narrative redoutable, déployant toute son honnêteté intellectuelle et sa finesse d’analyse, Alice Ferney signe le grand roman moderne du déni de tendresse.